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Autrices

Autrices est un projet qui promeut l'épanouissement et l'empuissancement des femmes par l'écriture de création. 

Autrices propose des ateliers, des rencontres inspirantes, des outils pour vous autoriser à libérer votre créativité, à faire naître l'autrice qui sommeille en vous. 


Parce qu'étymologiquement, être autrice, c'est s'autoriser, n'hésitez pas à participer!

Autrice, autorise-toi !

Quelle place pour les femmes dans le domaine de l'écriture?

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C'est le nombre de femmes à avoir obtenu le prix Goncourt, depuis sa création, en 1903,  jusqu'à la fin du XXème siècle, face à une centaine d'hommes lauréats de cette récompense prestigieuse. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la situation ne s'est pas significativement améliorée au troisième millénaire. Depuis 2000, et donc une génération, seules 4 femmes ont été primées, dont une cette année : Leila Slimani, Lydie Salvayre, Marie N'Diaye et Brigitte Giraud.

Dire que les femmes sont sous-représentées dans la littérature relève du lieu commun, comprendre la complexité du rapport à l'écriture de création lorsqu'on est une femme est autre chose encore. 

Au delà des prix et des choix éditoriaux, certaines contraintes matérielles et psychologiques pèsent, consciemment ou non chez les femmes, qui peinent souvent à s'affirmer en tant qu'artistes, et  plus encore en tant qu'autrices. Car tous les arts ne se valent pas : on se pose moins de questions quant à la légitimité d'une femme actrice ( qui porte la parole et l'écriture des autres), musicienne ( qui interprète ou même crée dans un langage autre que le sien), plasticienne, tant que son art ne joue pas trop avec le feu, tant qu'il ne s'approprie pas les mots.

Le parcours d'une autrice franchit un certain nombre d'étapes dont les dernières ne relèvent que du champ de l'écriture.  

Ecrire, même pour celle qui en a le désir profond, c'est d'abord devoir arracher des minutes à un emploi du temps dévoré par les obligations de tous ordres et la charge mentale qui en découle. Parvenir à écouter son envie une fois qu'on s'est plié à toutes celles, même supposées, de son entourage. Certaines y arrivent cependant, et la popularité du journal intime - forme "féminine" par excellence même si beaucoup d'hommes la pratiquent  - le prouve. On observera avec intérêt que le caractère secret du journal intime, non destiné a priori à la publication en a curieusement fait un genre mineur, associé au féminin.

 

Ecrire, même pour celle qui en a le temps et qui s'en donne la possibilité, c'est aussi se heurter à des freins psychologiques et une culpabilité quasi atavique, transgresser un modèle culturel ancré en chacune : Créer, certes, mais dans la chair, par l'enfantement, seul art qui, pour une femme, soit unanimement valorisé.

Le sacrifice consenti dans l'accouchement et l'éducation des enfants, la nature d'une telle création, en même temps qu'elle nie la femme en tant que sujet-créatrice, la place sous le signe d'une fatalité naturelle, du côté de la passivité. C'est un lourd tribut à payer pour se laver de toute culpabilité, de toute suspicion de remise en cause d'un ordre social qui cherche à se perpétuer.

Ecrire, même pour les femmes qui sont parvenue au bout ce chemin-là, c'est prendre le pouvoir, mesurer ce pouvoir et en jouir. C'est là que la différence avec les autres arts est la plus perceptible. 

Utiliser sa propre voix, sa parole, ses mots et non ceux qu'on attend d'elle . Etre capable de refuser, de proposer une langue autre, de se recréer à son image. C'est un acte politique et une responsabilité qui peut faire peur lorsqu'elle n'a jamais été explorée. Une plongée dans le vide, sans filet, quand la plupart des modèles littéraires connus sont imaginés, écrits, représentés par des hommes.  

On ne choisit pas d'être écrivaine, c'est un statut qui passe la plupart du temps par une reconnaissance institutionnelle, et que concrétise une publication.

 

On décide au contraire d'être autrice. Car ce mot a une valeur performative : dès lors que vous vous l'appropriez, il vous intronise. Si l'on s'appuie sur l'étymologie, on peut donner une définition simple du mot autrice, dire que c'est une femme qui s'autorise l'écriture de création, définition à laquelle on ajoutera : sans chercher à conformer son écriture à l'approbation d'une culture hégémonique, dominée par des valeurs mises en place par les hommes. Une autrice n'a pas honte de dire qu'elle crée et ne transige pas sur son désir, pour s'approprier les termes de Jacques Lacan. 

Par son choix d'être autrice, toute femme propose une vision du monde qui sort des sentiers battus de ce qu'une littérature édifiée par les hommes a tendance à valoriser. Elle impose des sujets qu'on a pu qualifier de mièvres, de mineurs, ou au contraire de malséants ou de choquants. Elle explore le corps féminin d'une nouvelle manière, son rapport à l'espace, au temps, à l'autre, à la vie. Elle peut dire la puberté, la ménopause, l'accouchement, la maternité, son refus ou son regret, le regard ( de soi ou d'autrui) posé sur le corps. Elle peut dire son corps, celui des hommes, tous les corps, comme elle peut s'affranchir du corps pour décrire le monde et sa diversité.

Car ne nous méprenons pas, il n'existe pas de littérature "féminine", comme il est absurde de décider que des magazines ou des vêtements sont "féminins". Lorsqu'une personne écrit, quel que soit son genre, elle n'a ni sexe, ni âge, ni profession, quand bien même ces sujets sont ceux sur lesquels elle s'exprime. Lorsqu'elle est pleinement dans l'acte d'écrire, elle est simplement présente à elle-même et à son désir de créer.

Les attendus qui pourraient régir une écriture d'homme ou de femme sont un véritable frein à la création en même temps qu'ils oppressent les autrices, car effectivement, ils été mis en place dans un cadre patriarcal. Assumer une voix d'autrice, c'est dès lors offrir des points de vues et des sensibilités nouvelles, sans s'encombrer d'une norme qui définirait ce que peut, ce que doit écrire une femme.

C'est une chance pour la littérature qu'il y ait des autrices, et qu'il y en ait de plus en plus.

 

Pour écrire ce manifeste, plusieurs autrices, pas toujours écrivaines, m'ont inspirée. J'en cite certaines pêle-mêle dans le plus parfait désordre, sans aucun souci d'exhaustivité, d'harmonie, ni de chronologie, parce qu'elles sont venues très clairement à ma conscience lors de la rédaction:  Simone de Beauvoir, Marguerite Duras,  Virginie Despentes, Virginia Woolf, Alice Zeniter, Alice Coffin, Brigitte Fontaine, Illana Weizman, Delphine Seyrig, Lola Lafon, Nikki de Saint-Phalle et Sophie Calle. 

Beaucoup d'autres encore sont à la source de ce manifeste, qui ne demandent qu'à affleurer pour venir compléter ce cortège d'autrices initiatrices.  

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